dimanche 21 décembre 2014

Episode 10


À présent la neige tombait dru, empêchant de voir devant soi à plus de quelques mètres. Elis avait rabattu sa capuche et marchait tête baissée, ce qui n’empêchait pas la neige et le vent de lui fouetter le visage. Malgré les vêtements d’hiver que lui avaient fourni ses kidnappeurs, le jeune homme était gelé et épuisé. Mais il avançait, guidé par la corde qui le reliait à Keyne.

Devant, le nomade suivait une ligne qu’il s’était fixée. Même si ses lunettes le protégeaient, il n’y voyait pas plus qu’Elis ; mais avant que la neige ne tombe trop fort, il avait eu le temps de repérer des arbres et marchait depuis dans leur direction, espérant qu’ils seraient suffisamment nombreux et denses pour les protéger un minimum du blizzard. Pour autant ils ne seraient pas sauvés, et il leur faudrait encore trouver un abri le temps que le gros de la tempête passe. S’ils n’en trouvaient pas, ils risquaient tout simplement de mourir.  

Keyne sentit la corde se tendre un instant et il pressa le pas. Elis ne tiendrait pas le coup encore très longtemps, lui-même commençait à fatiguer sérieusement. Plissant les yeux il lui sembla voir se découper des ombres hautes à travers la neige. Ils ne devaient plus être très loin à présent. Keyne continua à avancer et au bout de quelques mètres ils atteignirent les premiers arbres. Comme l’avait espéré le nomade, ce qu’il avait aperçu était bien une forêt, et protégés du gros du vent, le blizzard se fit moins violent.

Les deux hommes avancèrent prudemment. Les arbres étaient espacés et le terrain assez rocheux. Keyne ne craignait pas tant les bêtes sauvages ou les Rageux que le fait qu’il ne connaissait pas ce territoire. La journée était bien avancée, et entre les arbres et la tempête il faisait pratiquement nuit, limitant la visibilité. S’ils ne faisaient pas attention, ils pourraient très bien rater un lieu où il pourrait s’abriter, ou pire se blesser. Mais Keyne était aguerrit à cette tâche et il remarqua tout de suite les rochers. Ce n’était pas une grotte, mais leur disposition les abritait du vent, et avec quelques aménagements ils auraient un abri de fortune. Keyne jeta un coup d’œil à Elis. Le garçon était sur le point de s’endormir, et c’était mauvais signe. Il fallait d’abord qu’ils se réchauffent s’ils ne voulaient pas risquer l’hypothermie. Défaisant la corde autour de leur taille, Keyne secoua un peu Elis pour le réveiller.

— Hey ! Tu vas bientôt pouvoir te reposer, encore un petit effort.

Il déposa ensuite son sac contre les rochers et entraina le garçon.

— Aller, aide-moi à ramener cette branche près des rochers.

Ils s’en saisirent et la tirèrent vers leur abri. Keyne récupéra ensuite la petite hache que portait Elis et lui intima l’ordre de ramasser les pierres qu’il y avait autour d’eux. Le jeune homme s’exécuta pendant que Keyne débitait les petites branches afin de faire du petit bois en prévision d’un feu. Il sortit ensuite du fond de son sac une grande bâche en plastique qu’il déplia. Elle était vieille et rapiécée en plusieurs endroits, mais elle serait parfaite pour les abriter. Se servant de la branche comme d’une poutre, il la cala contre les rochers et y a coinça la bâche. Elis revint avec quelques pierres et Keyne l’envoya chercher d’autres branches plus petites, qu’il installa également pour maintenir la bâche. Une fois la tente improvisée montée, ils se mirent à l’abri et Keyne maintint le reste de la bâche avec les pierres.

Un peu de vent passait encore, mais la neige ne les atteignait plus. Keyne sortit son matériel et rassembla le petit bois. Il lui restait suffisamment d’amadou pour démarrer le feu, mais les branches étaient humides et il craignait que ce dernier ne prenne pas. À côté de lui Elis claquait des dents. Keyne sortit alors ce qu’il lui restait d’amadou et l’embrasa. Il rajouta ensuite des petits morceaux de bois un à un pour éviter d’étouffer le feu. Il fit bientôt meilleurs et Keyne obligea Elis à respirer lentement et à plein poumon pour qu’il arrête de greloter. Tous deux se réchauffèrent bientôt et Elis commençait à s’endormir.

— Vingt-trois.

Le garçon ouvrit les yeux et regarda le nomade.

— De quoi ?

— Plus tôt dans la journée tu m’as demandé mon âge. J’ai 23 ans.

Sa capuche était rabattue et son chignon en grande partie défait, libérant une tignasse rouge et bouclée. Le feu qui donnait un peu de lumière découpait des lignes dures sur son visage et se reflétaient dans ses yeux bruns, les faisant brûler du même éclat que les flammes. Elis avait du mal à croire que son guide soit si jeune. Il lui aurait facilement donné dix années de plus.

— Moi j’en ai 20.

Keyne lui sourit sans rien répondre, et bientôt Elis s’endormit, le laissant seul avec ses réflexions, les yeux fixés sur le feu et le regard perdu dans le vide. Ils avaient pratiquement le même âge, mais un gouffre les séparait. Elis paraissait si jeune quand lui-même se sentait si vieux. Il avait vu tant de choses, tant d’horreur…

Les souvenirs remontèrent et il revit la scène aussi nettement qu’à l’époque, lorsque son grand-père était venu le réveiller en pleine nuit. Lui n’avait rien entendu, mais leur communauté s’était faite attaquer par des Rageux. Dans la vieille caravane ouverte aux quatre vents, les flammes réduisant leur communauté en cendre, Keyne avait eu le temps d’apercevoir le corps de ses parents morts, ainsi que ceux de trois Rageux avant qu’il ne s’enfuit avec son grand-père, abandonnant tout son univers derrière lui. Il se rappelait qu’il avait alors 8 ans, mais depuis ce jour il n’avait plus jamais été un enfant.

Keyne chassa ces souvenirs qui le hantaient. Cela ne servait à rien de se rappeler. Il rajouta un peu de bois dans le feu, puis ferma les yeux.

 

Le lendemain la tempête s’était calmée et quelques flocons tombaient encore. L’air était à présent glacial, faisant ainsi tenir la neige. L’hiver s’était fermement installé dans cette région.

Les deux hommes prirent un repas frugal, puis Keyne rangea leurs affaires et ils reprirent la route sans un mot. Malgré le blizzard, ils n’avaient pas tant dévié de leur route que cela, et ils arrivèrent aux abords d’une communauté en milieu de journée. Keyne s’arrêta un instant et se tourna vers Elis. Il lui fallait un équipement complet et aussi qu’ils se ravitaillent en nourriture pour deux personnes. Il faudrait également que le gamin continu à s’entraîner sérieusement. Ils allaient donc devoir rester plusieurs jours, et cela ne plaisait guère au nomade qui préférait la liberté et la sécurité des grands espaces à celles plus restreintes et toute relative des communautés.

 
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jeudi 11 décembre 2014

Episode 9


Elis acquiesça sans poser plus de questions. Il était seulement content de pouvoir enfin se reposer. Keyne mangea également en silence avant de boire une longue rasade d’eau. Il se leva ensuite et récupéra ses deux courtes épées.

Le jeune homme le regarda faire, admirant les mouvements souples de son guide. Sa capuche était rabaissée et ses lunettes reposaient sur le haut de sa tête. Des mèches de son chignon s’étaient échappées et volaient telles des flammèches rouges autour de son visage, le soleil se réfléchissant sur les lames qui bougeaient de plus en plus rapidement autour de Keyne.

Elis resta subjugué, jusqu’à ce qu’il s’arrête, à peine essoufflé par l’exercice qu’il venait de faire. Son regard se posa alors sur le jeune homme et ce dernier déglutit devant la froideur qui s’y lisait.

— Lève-toi.

Elis obtempéra.

— Nous repartons déjà ?

Keyne secoua la tête.

— Non. Tu as besoin d’apprendre à te battre. Si je te laisse comme ça, tu ne survivras pas à la plus petite attaque.

— Cela fait trois jours que nous marchons et nous n’avons pas rencontré le moindre problème.

Keyne fronça les sourcils.

— Pour le moment. Mais nous marchons vers l’Ouest, le temps va devenir plus clément et nous allons devoir faire des haltes dans les communautés. Nous allons forcément croiser plus de Rageux et tous les problèmes que cela génèrent.

— Je ne comprends pas.

Keyne soupira. Malgré tout, il prit le temps de s’expliquer.

— Dans les contrées de l’Est le plus gros danger ne sont pas les Rageux, le froid maintient le taux d’infection assez bas. En contrepartie, la vie est plus dure, et les bêtes sauvages ainsi que les hommes représentent le gros du danger. Pour le moment, j’ai évité les routes qui risquaient de nous les faire croiser. Plus nous allons aller vers l’Ouest et nous rapprocher des communautés, plus il y aura de Rageux. Tu dois apprendre à te battre.

Keyne s’interrompit pour tendre à Elis l’une de ses épées par le manche et l’observa droit dans les yeux jusqu’à ce que le garçon prenne l’arme. L’homme recula alors d’un pas et se mit en position de garde, l’épée dans la main droite légèrement écartée de son corps, le bras gauche placé en défense devant son torse, comme s’il portait un bouclier.

— Attaque-moi.

Elis déglutit et son regard fit l’aller-retour entre Keyne et l’arme qu’il tenait. Protégé par la ville d’Eole, il n’avait jamais eu besoin d’apprendre à se battre. Il lui suffisait d’apprendre à s’occuper des éoliennes et de veiller à leur bon fonctionnement pour faire sa part du travail.

— Ça vient ?

La voix dure de Keyne le fit sursauter et le ramena à l’instant présent. Ce temps était révolu. S’il voulait retrouver sa vie d’avant il devait d’abord survivre. Ses mains s’agrippèrent sur le manche de la courte épée et il fonça droit sur Keyne, plus qu’il n’attaqua.

En face de lui, le nomade ne broncha pas. Il attendit qu’Elis soit sur lui pour contrer son coup d’épée avec la sienne, la faisant voler à plusieurs mètres. De sa main libre il assena une gifle au garçon avant de le repousser d’un coup de pied qui l’envoya rouler au sol.

Sonné, Elis se releva tout en secouant la tête.

— Tu es malade. Pourquoi tu y as été si fort ?

Keyne avait déjà ramassé l’arme et avançait vers lui pour lui tendre de nouveau l’épée par le manche.

— Fort ? J’ai retenu mes coups. Allez, relève-toi et recommence. En tenant l’épée à une seule main cette fois.

Elis observa Keyne lui tourner le dos et se remettre en position. Il se releva tout en soupirant. Il n’avait pas le choix. Et il attaqua.

Pendant l’heure qui suivit Keyne le fit rouler au sol plus d’une fois, lui mettant raclée sur raclée. Allongé au sol, Elis haletait, épuisé. Ses joues lui cuisaient et il débordait de colère contre Keyne qui se montrait toujours aussi froid et intraitable. Le garçon entendit les pas du nomade approcher et se crispa, s’attendant à une nouvelle semonce et l’ordre de se lever et d’attaquer encore une fois. Mais cette fois Elis était prêt à lui tenir tête, il refusait simplement de se lever.

Ouvrant les yeux pour lui en faire la remarque, il découvrit au lieu du manche de l’arme, l’outre remplit d’eau.

— Bois.

Elis attrapa la gourde et se redressa pour boire tout son saoul. Il vit Keyne ranger les épées dans leur fourreaux et remettre son sac sur le dos.

— Nous y allons déjà ?

— La route est longue et il faut trouver un abri. Il va neiger cette nuit.

Elis leva la tête vers le ciel pourtant parfaitement dégagé et se demanda comment Keyne pouvait être aussi sûr de lui. Il n’eut pas le temps d’y penser plus, que le nomade faisait glisser ses lunettes sur ses yeux, signe qu’ils reprenaient la route. Elis aurait bien voulu se reposer pour de vrai, mais il n’eut pas le courage de faire la moindre remarque en voyant l’homme porter tout son attirail. Il n’avait pas le droit de se plaindre alors que lui-même ne portait qu’une petite hache et une outre.

C’est d’un pas maussade qu’Elis se mit en route. Rapidement une distance de quelques pas s’installa de nouveau entre eux. Malgré l’entraînement, Keyne avançait aussi vite qu’auparavant alors que lui-même avait l’impression que ses jambes étaient lestées à l’aide de plomb. Chaque pas qu’il faisait lui était un calvaire, et il ne pensa bientôt plus qu’à ses pieds qu’il mettait l’un devant l’autre.

Ils marchèrent durant le reste de la journée, et ne firent une pause rapide qu’une seule fois alors que de gros nuages noirs s’étaient amoncelés dans le ciel. Keyne avait alors sorti une corde pour la passer autour de sa taille ainsi que de celle d’Elis, tout en lui expliquant que c’était pour éviter qu’ils se perdent l’un l’autre. En reprenant la route, il avait commencé à neiger. De tous petits flocons dispersés rapidement par le vent.
 
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mercredi 3 décembre 2014

Episode 8


Keyne marchait de son pas habituel, Elis suivant difficilement quelques mètres plus loin. Ils avaient repris la route deux jours plus tôt et Keyne essayait déjà de maintenir le rythme. Mais Elis peinait. Cela n’avait rien à voir avec son rétablissement, c’était juste qu’il n’était pas habitué à autant d’activités physique. Keyne le savait, mais s’ils voulaient survivre, le nomade savait également qu’il fallait que leur rythme soit plus soutenu.

Ça, et l’entraînement. Le garçon ne savait visiblement pas se défendre avec des armes blanches. Pour l’heure il portait à sa ceinture la petite hache que Keyne utilisait pour couper du bois, mais le nomade lui avait interdit de l’utiliser, sauf en cas d’urgence et lorsqu’il le lui dirait. Et même dans cette situation il craignait qu’Elis représente plus de danger en fin de compte. Ce dernier était comme un enfant à qui il fallait tout apprendre, et ils n’avaient pas le temps pour ça.

Sauf que la route était longue jusqu’à Eole et pleine de danger également. Si Elis n’apprenait pas à se défendre il se ferait tuer. Keyne n’en serait pas vraiment affecté, mais le jeune homme représentait sa dernière chance d’entrer dans Eole.

Le nomade soupira. Il allait bien falloir prendre ce temps s’ils voulaient arriver vivants. Et puis Elis devait cesser d’être un enfant et devenir un homme capable de se protéger. Si sa communauté avait fait le nécessaire, il ne se serait sans doute pas fait enlever.

Keyne se retourna pour jeter un coup d’œil au jeune homme. Le regard rivé au sol il avançait difficilement, le visage crispé par la douleur et la fatigue. Encore une fois Keyne se demanda quel genre de communauté pouvait être Eole pour ne pas avoir besoin que ses membres apprennent à survivre. Lui-même se souvenait encore très bien du jour où son grand-père lui avait mis un couteau entre les mains pour lui apprendre à se battre. Il devait avoir à peine 5 ans.

À cette époque le reste de sa famille était encore en vie. Sa mère devait sûrement être dans les parages, à le regarder, mais Keyne ne se souvenait que de son grand-père et de la leçon qu’il lui avait donnée. Durant des jours le vieil homme lui avait fait mordre la poussière jusqu’à ce qu’il soit capable de tenir son couteau et de s’en servir correctement. La leçon avait été dure, mais bénéfique lorsque quelques années plus tard, alors qu’ils n’étaient plus que tous les deux, Keyne avait tué son premier Rageux. Il n’avait alors pas encore 15 ans, mais son grand-père avait alors déclaré qu’il était adulte. Un léger sourire étira les lèvres du nomade, mais derrière ses lunettes, son regard resta froid. Il y avait trop peu de bons souvenirs pour de trop nombreuses horreurs vécues. Les souvenirs n’étaient que des rêves. La réalité, c’était la mort et le besoin de survivre.

— Keyne !

Le guide sortit de ses pensées et se retourna pour voir qu’Elis avait encore pris du retard. Il secoua la tête et ralentit le pas avant de s’arrêter. Décidément il allait falloir faire quelque chose. Relevant ses lunettes sur son front, Keyne observa les alentours en attendant qu’Elis le rejoigne.

— Tu vois les arbres là-bas ?

Le garçon regarda dans la direction que le doigt du nomade pointait et plissa les yeux avant d’acquiescer. De là où ils se trouvaient, ce n’était qu’une petite touffe verte qui semblait se trouver à des kilomètres.

— Ne les perds pas de vue. Nous ferons une pause une fois là-bas.

Elis acquiesça une nouvelle fois. Il était incapable de parler pour se plaindre, ses poumons étaient en feux, ses jambes lui brûlaient ; et il avait l’impression qu’il risquait de s’écrouler à chaque pas qu’il faisait. Ce qui n’était sûrement pas loin de la vérité. Et l’homme voulait qu’il continue à avancer aussi loin ? Il s’apprêtait à dire quelque chose lorsqu’il vit Keyne sortir une outre de son sac et en boire une longue rasade avant de la lui tendre.

— Tiens bois.

Oubliant sa plainte, le garçon ne se fit pas prier et but tout son saoul avant de rendre l’outre. Keyne ne l’avait pas quitté des yeux une seconde, mais son regard était resté impénétrable. Il rangea la gourde, rajusta son sac ainsi que ses lunettes et reprit la route. Elis soupira et se remit également à avancer, son regard fixé sur le dos de son guide. Depuis deux jours qu’ils marchaient Elis ne l’avait pas vu une seule fois fatigué et il était toujours aussi impressionné de le voir porter son sac comme si cela ne pesait pratiquement rien alors qu’en réalité il était plein à craquer.

Pourtant le nomade n’était pas physiquement ce qu’on pouvait appeler une force de la nature. Keyne était certes assez grand, mais malgré l’épaisseur de ses vêtements qu’il n’avait encore jamais retiré devant lui, Elis devinait un corps sec. En comparaison il se sentait gras. Elis lâcha un petit rire. Jusqu’à présent il n’avait jamais complexé sur son corps.

Sous le gloussement Keyne se retourna et lui jeta un coup d’œil.

— Qu’est-ce qui te fait rire ?

Elis secoua la tête.

— Rien. Je réfléchissais seulement… Keyne, tu as quel âge ?

— Garde ton souffle pour marcher au lieu de parler. Tu dépenses de l’énergie inutilement.

Puis l’aîné se tourna de nouveau vers la route et accéléra le pas, obligeant Elis à faire de même. Il leur restait encore une bonne heure de marche pour arriver aux arbres, et Keyne ne souhaitait pas perdre de temps en bavardage inutile. C’était un luxe qu’Elis ne pouvait pas se permettre. En plus, parler détournait l’attention des dangers potentiels. Mieux valait donc attendre d’être arrivé à l’étape et de se reposer. Ils auraient de toute façon bien assez le temps pour discuter.

Lorsqu’ils arrivèrent sous les frondaisons, Keyne fit d’abord un tour rapide afin de vérifier que les lieux étaient aussi sûrs que possible. Puis lorsqu’Elis le vit retirer son sac, il se laissa tomber au sol sur le dos, bras et jambes écartées. L’homme l’observa, un demi sourire au coin des lèvres alors qu’il sortait de son sac son outre ainsi que des galettes de blés. Croquant dans l’une d’elle, il en lança une seconde sur la poitrine d’Elis qui se soulevait au rythme de sa respiration rapide. Sous le léger impact le jeune homme ouvrit les yeux et observa le gâteau rond. Il se redressa et tout en croquant dans la galette, il se tourna vers Keyne.

— Merci.

— Mange. Tu vas avoir besoin de prendre des forces.

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dimanche 16 novembre 2014

Episode 7


— Ils voulaient que je les aide.

Keyne le détailla sans dire un mot, son regard se faisant suffisamment éloquent quant à ses doutes sur les capacités d’Elis à aider qui que ce soit. Le garçon s’en rendit compte et prit la mouche.

— Tu doutes de moi c’est ça ? Mais dans ma communauté ma famille est importante, je suis quelqu’un d’important !

Il se redressa, jetant un regard plein de morgue à Keyne qui se contenta de sourire. Assis, les jambe croisées, il se pencha un peu en avant et susurra :

— Alors là gamin, j’aimerais bien que tu m’expliques comment un gringalet comme toi peut être aussi important.

— Ma famille s’occupe des éoliennes.

Toujours piqué au vif, Elis ne se rendait même pas compte qu’il en disait plus qu’il n’avait prévu de dire. Le sourire de Keyne s’effrita et il se redressa à son tour. Il avait suffi de cette dernière information pour comprendre toute l’importance du garçon.

— Tu fais partie de la communauté d’Eole ?

Elis acquiesça alors que Keyne secouait la tête avec un petit rire. La communauté d’Eole, la plus grosse et la plus sécurisée du continent si l’on en croyait les rumeurs. En comparaison, les autres communautés faisaient office de village.

— Et tu dis que ta famille s’occupe des éoliennes ?

— Oui. Depuis que mon père est malade, c’est moi qui ais la charge de l’entretien et du fonctionnement des éoliennes.

— Eh bien je comprends mieux pourquoi ces hommes t’ont enlevé. Par contre, il me semble que ta communauté est plutôt bien sécurisée, comment ils ont fait pour réussir à t’enlever.

— Ils ont attendu que je sorte de la ville. Je devais me rendre dans une communauté voisine avec laquelle nous faisons du commerce. C’est à ce moment-là qu’ils ont attaqué.

Le regard d’Elis se perdit alors dans le petit feu, le garçon se remémorant les évènements. Un frisson d’horreur le parcourut et les larmes montèrent.

— Tous ceux qui m’accompagnaient, ils sont tous morts.

Keyne le regarda sans rien dire. Il n’y avait d’ailleurs rien à dire. Des gens mouraient chaque jour de façon plus ou moins brutale et on ne pouvait rien y faire. Ce devait sûrement être la première expérience de réelle violence pour Elis, mais il fallait qu’il s’endurcisse s’il voulait survivre pour rentrer chez lui. Sur le chemin du retour, il aurait largement l’occasion de voir la violence à l’œuvre.

Au bout d’un temps, le jeune homme essuya ses larmes du revers de sa manche et renifla.

— Je suis désolé.

Keyne le regarda droit dans les yeux.

— Ne t’excuse pas. Tu avais besoin de pleurer, je peux le comprendre. Ça va mieux ?

Elis acquiesça.

— Bien. Alors parlons affaire veux-tu ?

Le garçon fronça les sourcils, ne comprenant pas de quoi parlait le nomade.

— Eh bien quoi, tu ne penses quand même pas que je vais te ramener chez toi sans compensation. Rien qu’à te regarder, je vois bien que tu n’as rien à échanger pour payer tout ce qu’il faut à ta survie. Ce qui veut dire qu’il va falloir que je prenne toutes les dépenses en charge si j’accepte de te ramener.

Le visage d’Elis s’éclaira à cette mention.

— J’ai de quoi te payer. Une fois à Eole je te donnerai de l’argent.

Keyne éclata de rire.

— De l’argent ? Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? L’argent n’a de valeur que dans ta communauté, je ne pourrai rien en faire une fois reparti.

— Qu’est-ce que tu veux alors ? 

Keyne haussa les épaules.

— Je verrai bien lorsque nous arriverons à Eole de quoi j’aurais besoin. Mais il faudra que tu me rembourses tout ce que j’ai dépensé pour toi.

— Très bien, je te donnerai ce que tu voudras. Mais comment tu vas pouvoir acheter les choses si tu n’as pas d’argent ?

Keyne secoua une nouvelle fois la tête. Elis était comme un enfant à qui il fallait tout apprendre de la vie. Le voyage de retour n’allait pas être une sinécure, et le nomade allait devoir faire preuve de patience, ce qui n’était pas son fort. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus eu de compagnon de voyage, il allait devoir s’y habituer. 

— La plupart des communautés fonctionnent sur le troc. Mais certaines d’entre-elles, généralement les plus grosses, utilisent des formes de monnaies. Dans ce cas, lorsqu’un voyageur arrive, il peut troquer quelque chose contre cet argent. Ça n’a alors de valeur que dans la communauté et lorsqu’on repart, mieux vaut avoir tout dépensé contre des vivres, des armes ou tout autre chose dont on a besoin.

— De la nourriture, des vêtements, ce sont des choses que je peux te donner facilement ; ce ne sera pas compliqué.

Keyne sourit au garçon et se leva.

— Nous verrons le moment venu. Avant de te demander quoi que ce soit, il faudra déjà que nous arrivions sans encombre à Eole. Si nous survivons, alors tu devras me donner ce que je te demande.

Elis secoua la tête en signe d’assentiment, et Keyne continua alors qu’il ramassait leurs deux bols ainsi que la petite casserole.

— La route jusque chez toi est longue et dangereuse. Nous en avons pour des mois avant d’y arriver, ce qui signifie que nous risquons de croiser des Rageux, sans compter les communautés inhospitalières et les mercenaires. Je te conseille de te reposer et de prendre des forces. D’ici un ou deux jours, lorsque tu seras complètement remis, nous nous mettrons en route.

Keyne le regarda jusqu’à ce qu’il lui donne son assentiment.

— Très bien. Je vais laver les bols et chercher de l’eau, je reviens.

Le nomade récupéra l’outre qui lui servait de gourde, l’une de ses épées qu’il passa à sa ceinture, puis il sortit de la ferme. Dehors, le temps était clair et le soleil brillait. C’était une journée d’hiver comme Keyne les aimait, froide et sèche. Il prit un petit sentier qui serpentait derrière la maison et arriva rapidement à une rivière. Là, plongeant ses mains dedans il rinça les bols et la casserole, avant de boire une longue rasade. L’eau était gelée et cela lui fit du bien. Il remplit ensuite l’outre et se tourna vers la ferme, restant un instant dehors à la regarder, tout en pensant au gamin qui se trouvait à l’intérieur.

Eole…

S’il y avait un endroit où le nomade pouvait trouver ce qu’il cherchait c’était forcément là-bas. Ces dernières années, il avait arpenté toutes les plus grosses communautés sans trouver quoi que ce soit. Mais Eole était différente. Comme l’avait dit Elis, c’était une ville. Et il était impossible d’y entrer à moins d’en être un membre.

Et voilà que la vie se chargeait de lui mettre entre les pattes quelqu’un pouvant non seulement l’y faire entrer, mais ayant également la capacité de lui donner ce qu’il souhaitait obtenir.

Keyne se retint de sourire. Encore fallait-il que ce quelque chose existe encore, et aussi qu’ils arrivent en vie jusqu’à Eole.

 
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mardi 11 novembre 2014

Episode 6


S’il lui disait la vérité, il prenait le risque de faire confiance à ce garçon et de se voir par la suite dépouillé de ses biens ou tué. Et même s’il était digne de confiance, il suffisait qu’il ouvre la bouche pour en parler à quelqu’un une fois rentré chez lui, pour qu’ensuite Keyne se retrouve dans les ennuis. Les gens étaient prêts à se battre et à tuer pour obtenir ne serait-ce qu’une dose de sérum. Si quelqu’un apprenait que Keyne en avait en sa possession il se ferait tuer sans hésitation.

Non, le plus sage était de lui mentir. En plus il semblait assez désorienté et perdu pour croire tout ce que Keyne lui raconterait. Le nomade tenta donc le coup.

— Tu t’es fait une méchante coupure à la tête, et lorsque je t’ai trouvé, elle était en train de s’infecter et tu étais fiévreux. Quand tu t’es fait mordre tu as du délirer et te croire contaminé, mais je t’assure que tes blessures mises à part, tu es en parfaite santé. 

Keyne lui sourit tout en le dévisageant d’un air qui n’appelait pas la contradiction, et Elis finit par acquiescer.

— Tu dois avoir raison, après tout c’est toi qui m’as soigné.

— Tout à fait.

Le sourire de Keyne s’élargit, et il se remit à manger. Puis tout en mâchant, il pointa du bout de sa cuillère le bol d’Elis et ajouta :

— Termine ton plat. Je te préparerai ensuite un mélange de plantes à prendre pendant une semaine pour ton rétablissement complet, puis tu pourras retourner chez toi. Vu comment tu es habillé, ta communauté ne doit pas être loin.

Elis se figea et reposa la cuillère dans son bol avant de baisser les yeux, visiblement mal à l’aise. Keyne fronça les sourcils.

— Quoi, tu t’es enfui et tu ne veux pas rentrer ?

Elis secoua la tête mais garda le silence.

— Tu t’es perdu et tu ne sais pas comment rentrer ?

À nouveau Elis secoua la tête. À bout de patience, Keyne soupira.

— Écoute, si tu ne veux pas en parler, ça ne me pose aucun problème. De toute façon ça ne change pas grand-chose pour moi ; je te laisse les plantes et je reprends ma route. Tu es libre de continuer la tienne.

Elis releva alors la tête, le regard complètement paniqué.

— Tu ne peux pas me laisser là tout seul.

— Je ne te dois rien. Je t’ai soigné parce que je ne pouvais pas laisser quelqu’un mourir comme ça en pleine nature, mais ça ne veut pas dire pour autant que je vais garder avec moi un fugueur qui ne veut pas rentrer chez lui.

— Je n’ai pas fugué, j’ai été enlevé !

À peine les mots prononcé Elis détourna le regard et retomba dans son mutisme. Keyne attendit qu’il en dise plus, mais il n’ouvrit plus la bouche.

— Si tu veux que je t’aide, il va falloir que tu m’en dises plus.

Elis secoua la tête.

— Je veux seulement que quelqu’un m’aide à rentrer chez moi.

Keyne ignorait ce que le garçon cherchait à cacher, mais il était sûr d’une chose, personne, et encore moins lui-même, ne l’aiderait sans en savoir plus. Il allait donc falloir qu’il lui tire les vers du nez.

— Eh bien si tu veux que je t’emmène ne serait-ce que dans la prochaine communauté, il va falloir que tu m’en dises un peu plus, parce que ton histoire d’enlèvement là, ça pue l’arnaque à plein nez.

Elis se mordit les lèvres, prêt à craquer. Keyne poussa un peu plus.

—Je t’ai sauvé la vie, j’ai largement fait ma part de bonne action pour l’année. Ça ne me pose aucun souci de te laisser là tout seul.

Elis soupira alors, ses épaules s’affaissant.

— D’accord, qu’est-ce que tu veux savoir ?

Keyne lui sourit.

— Commençons dans l’ordre. Où se trouve ta communauté ?

— À l’Ouest.

— Mais encore ?

— Sur la côté Ouest du continent.

Keyne lâcha un sifflement. C’était à des milliers de kilomètres.

— Tu veux me faire croire que des hommes sont venus t’enlever pour t’emmener à l’autre bout du continent ? Ça doit faire des mois que tu es entre leurs mains.

— En réalité ça fait seulement quelques semaines.

Keyne fronça les sourcils, le gamin se foutait de lui.

— Et tu veux me faire gober ça ? Ça fait des années que je traverse le continent de long en large et je n’ai jamais réussi atteindre les deux bords en moins d’une saison. Et toi tu veux me faire croire que tu l’as fait en quelques semaines ?

— Je ne te mens pas. Nous avons voyagé en camions.

Keyne le regarda un long moment. S’ils étaient véhiculés il était en effet possible de traverser le continent en quelques semaines. Mais encore fallait-il que les véhicules tiennent la route, et ça c’était une autre histoire.

— Admettons que je te croie, comment tu as fait pour t’échapper ?

— Nous nous sommes arrêtés un soir au bord de la route. D’habitude ils prenaient la peine de trouver un abri sûr, mais visiblement nous étions presque arrivés et ils étaient plus confiants. Puis en plein milieu de la nuit nous nous sommes fait attaquer.

— Des Rageux ?

Elis secoua la tête :

— Non, d’autres hommes. J’ai été réveillé en sursaut par des coups de feu. L’un des mercenaires qui m’avait enlevé, le plus jeune d’entre eux m’a alors détaché et m’a dit de prendre la fuite. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai couru dans les bois, je ne voyais rien et c’est comme ça que je me suis cogné la tête. J’ai continué à marcher jusqu’à ce que je n’entende plus de bruit derrière moi. Ensuite j’ai erré sans trouver la moindre nourriture pendant plusieurs jours. J’ai fini par m’écrouler près d’un arbre où je me suis fait mordre par le lapin en cherchant à l’attraper. La suite, tu la connais.

Elis se tut tout en regardant Keyne, attendant son verdict. Le nomade avait écouté l’histoire du garçon. Il savait qu’il existait beaucoup de tensions dans les communautés de l’Est, peuples différents, ressources limités…tout était prétexte à s’attaquer régulièrement. Alors Keyne n’était pas surpris du déroulement de l’histoire d’Elis. Pourtant, il lui manquait encore une information pour prendre le garçon au sérieux et envisager de l’aider.

— Très bien, j’ai une dernière question. Pourquoi est-ce que des mercenaires ont fait autant de route pour venir t’enlever toi, un simple gamin ?

Elis détourna un instant le regard, hésitant. Pourtant il allait bien falloir qu’il réponde s’il voulait obtenir l’aide de Keyne. Le garçon planta alors ses yeux marron dans ceux vert du nomade et répondit.
 
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mardi 4 novembre 2014

Episode 5


Un craquement se fit entendre et Keyne ouvrit les yeux. Allongé dos contre le mur, ses armes à portée de mains, il ne bougea pas, attendant que le bruit se réitère, mais rien ne vint. C’était seulement les poutres de la maison qui avaient dû craquer.

Keyne se releva et s’étira. La lumière filtrait à travers les interstices des fenêtres condamnées, mais également des divers trous présents dans la toiture. Keyne n’y avait pas fait attention la nuit dernière, mais au final ça ne changeait pas grand-chose, le bâtiment était sûr et c’était tout ce qui comptait.

Faisant un tour rapide des lieux à la lumière du jour, le nomade revint finalement dans la pièce principale les bras chargés de petits bois et ralluma un feu. Il vint ensuite auprès du garçon et l’ausculta. Sa respiration était calme et régulière, les traits détendus, il était clair qu’à présent son inconscience était due au sommeil. Sortant de son sac sa besace médicale, Keyne se mit à préparer le traitement nécessaire à son rétablissement complet. Mettant dans un bol quelques feuilles de chaque plantes dont il avait besoin, il s’occupa ensuite de faire chauffer de l’eau au-dessus du feu. Ce n’est qu’une fois la tisane prête qu’il se rendit compte que de l’autre côté du feu le garçon avait ouvert les yeux et l’observait.

— Tu es réveillé, tant mieux. Tu vas pouvoir boire seul ce que je t’ai préparé.

Keyne se leva et vint aux côtés du garçon. Avec des gestes sûrs il l’aida à s’asseoir et porta le bol à ses lèvres, l’aidant à boire. Une fois la tisane entièrement absorbée, il reprit le bol des mains du garçon, et retourna près de ses affaires. Là, il plongea sa main dans l’un des sacs qu’il avait posé près du feu, en ressortit une poignée de graines qu’il versa dans le bol, y ajouta une pincée d’un autre sac et recouvrit le tout d’eau bouillante. Il réitéra l’opération dans un autre bol, y plongea dans chacun une cuillère, ajouta quelques tranches de viande séchée et porta ensuite l’un des bols au garçon, avant de revenir s’asseoir près du sien et de manger son gruau tout en observant son vis-à-vis.

Le garçon ne devait pas avoir plus de 20 ans. Sans être frêle, il était toutefois mince et manquait clairement d’exercice. Ses cheveux bruns étaient coupés courts et les lunettes qu’il portait, même cassées ne dissimulaient pas des yeux marrons légèrement bridés marquant ainsi un métissage asiatique évident. Le gamin avait l’air complètement paumé de quelqu’un qui se demande ce qu’il faisait là, encore en vie. À vrai dire, Keyne se posait exactement la même question. Avec son air d’intellos et ses vêtements déchirés, il se demandait comment le garçon avait pu vivre aussi longtemps. Mais mieux valait faire les choses dans l’ordre. Avalant la bouchée qu’il venait de prendre, Keyne reposa sa cuillère dans le bol et s’adressa au garçon.

— Je m’appelle Keyne.

Sa voix avait le timbre éraillé des personnes qui parlent peu. Il ajouta :

— Et toi ?

Le garçon se dépêcha de mastiquer et d’avaler ce qu’il avait dans la bouche.

— Elis.

Il toussa sous la précipitation et se reprit, visiblement gêné.

— Merci.

Keyne haussa les épaules.

— Ce n’est rien qu’un peu de nourriture.

Et il le pensait. Comparé au sérum, ce n’était en effet rien d’important. Elis secoua la tête.

— Non…enfin si, merci pour la nourriture, mais merci…de m’avoir soigné alors que je suis…contaminé.

Son regard était baissé sur le bandage qui recouvrait la morsure de lapin. Keyne le regarda un instant avant de lâcher un petit rire.

— T’es pas contaminé.

Le visage d’Elis se décomposa.

— Pas contaminé ? Mais le lapin qui m’a mordu….

Keyne retrouva son sérieux et lui rendit un regard calme en comparaison de celui du garçon qui reflétait l’incompréhension. Il semblait avoir réellement eu conscience de son état, mais doutait sous le regard assuré de Keyne. Ce dernier hésita à lui répondre.
 
 
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mercredi 29 octobre 2014

Episode 4


Keyne observa une nouvelle fois les alentours, puis revint sur le malade. À part ce qu’il portait sur le dos, il ne possédait pas grand-chose. C’était inconscient de sa part, mais ce serait toujours ça de moins à transporter pour Keyne.

Une courte réflexion suffit au nomade pour décider qu’il valait mieux trouver un lieu plus sûr. Il lui restait encore au moins deux bonnes heures de marche pour s’éloigner de cet endroit, et même en transportant un poids mort, ils pouvaient certainement atteindre une zone plus sécurisée. Si Keyne se souvenait bien, et s’il marchait d’un bon pas, ils pourraient même trouver un toit pour les abriter. Cela lui permettrait alors de rester quelques jours, le temps que le garçon reprenne conscience et qu’il puisse le laisser seul. Mais il ne fallait pas perdre de temps. Keyne sortit tout d’abord une corde de son sac. Puis, se dirigeant vers le garçon inconscient, il se mit à genoux, passa un bras sous ses épaules et le ramena en avant contre lui, faisant passer ses bras par-dessus ses épaules, tels deux amants enlacés. Le garçon gémit, sans toutefois se réveiller, mais Keyne n’y prêta pas attention et pivota tout en maintenant les bras du malade afin qu’il ne tombe pas. L’ayant à présent dans le dos, Keyne fit glisser la corde sous les fesses du garçon et s’enroula la taille, avant de la faire passer sous les bras et de la ramener face à lui afin de la nouer à l’avant. Le nomade vérifia ensuite que le malade était bien maintenu et qu’il ne risquait pas de tomber. Keyne rajusta les bras de ce dernier sur ses épaules, afin qu’il soit le plus en avant possible, passa ses propres bras sous les jambes du malade et banda ses muscles s’apprêtant à se relever, puis il poussa sur ses jambes, prêt à soulever le poids d’un homme.

Il faillit perdre l’équilibre sous la légèreté que représentait le garçon. Il s’était attendu à bien plus lourd, mais il devait peser moins que lui. Keyne secoua la tête. Il se demandait comment un garçon tel que lui avait pu survivre aussi longtemps dans le monde actuel. Il n’était clairement pas paré aux difficultés de la vie. Alors quelle pouvait être son histoire et comment s’était-il retrouvé là ?

Keyne repoussa ses interrogations. Il aurait le temps plus tard de les lui poser ; pour le moment il devait marcher pour s’éloigner le plus vite possible de cet endroit. Récupérant son sac qu’il porta devant lui, puis rajustant le garçon, sur son dos, Keyne reprit la route. Il resta dans un premier temps aux abords de la forêt, puis lorsqu’il pensa que la zone était plus sûre, il revint sur la route. Celle-ci était faîte de goudron. Son grand-père lui avait expliqué que dans l’ancien temps, toutes les villes étaient reliées par ce genre de route, que les véhicules étaient alors légions et que des milliers traversaient chaque jour dans un sens comme dans l’autre. Il lui avait aussi parlé des trains et des avions transportant hommes et marchandises en quantité. Keyne avait toujours eu du mal à se représenter ce genre de monde où tout se trouvait en abondance, villes, hommes, animaux, nourriture… Pour lui si cette époque avait un jour réellement existé, ce n’était à présent que des contes pour enfants.

Bien sûr, Keyne avait déjà croisé au long de sa vie tous les engins dont son grand-père lui avait parlé. Mais en général il ne sortait de cette technologie du passé rien de bon. Les hommes les utilisaient pour contrôler et menacer, faire preuve de leur supériorité. Keyne préférait autant s’en tenir à distance et continuer à marcher. C’était ça la vraie sécurité et la vraie liberté. Se contenter de ce que l’on pouvait transporter.

Keyne s’arrêta un instant pour observer les lieux. La luminosité avait encore baissée, le jour faisant place au crépuscule. S’il ne se trompait pas, il y avait une ancienne ferme abandonnée un peu plus loin. Il y avait été une fois, il y avait longtemps de cela. Il quitta la route pour un chemin de terre et le suivit encore sur quelques kilomètres, faisant attention aux moindres signes de présence humaine ou animale, mais il n’en détecta aucune. Puis au bout d’un moment, il distingua la forme d’un bâtiment. Malgré la fatigue, Keyne pressa le pas.

En quelques années la ferme s’était encore dégradée, ressemblant d’avantage à une ruine que dans ses souvenirs. Mais au moins il y avait encore des murs, un toit et une porte. Les fenêtres, elles, avaient été barricadées depuis longtemps. C’était suffisant pour en faire un abri sûr. Détachant le garçon, il le posa contre un arbre. Il reprit ensuite son sac sur son dos et sortit ses épées courtes afin de s’assurer que les lieux étaient dégagés. Il faisait nuit à présent, et aucun son ne provenait de la maison.

Keyne avança lentement, faisant le moins de bruit possible. Après des années d’entraînement, il voyait parfaitement dans la nuit. Il poussa la porte avec précaution, celle-ci grinça et il attendit d’entendre quelque chose, mais rien. Faisant rapidement le tour du bâtiment qui se trouvait de plein pied, Keyne finit par ressortir rassuré. À part quelques rats qui avaient détalés entre ses jambes, la ferme était vide. Il récupéra le garçon et l’emmena à l’intérieur. L’allongeant dans l’une des pièces, Keyne sortit de son sac sa couverture et l’en recouvrit. Il rassembla ensuite quelques morceaux de bois qui avaient constitués un jour du mobilier et sortit son nécessaire à feux. Un petit sac contenant de la mousse, une tige de silex usée et un grattoir. Avec des gestes sûrs, Keyne enflamma rapidement la mousse et fit un petit feu. Cela serait suffisant pour les réchauffer, et de l’extérieur on ne l’apercevrait même pas.

Keyne cala son dos contre le mur et soupira. La journée avait été longue, mais il était encore en vie. Sortant de son sac de quoi manger, il avala quelques tranches de viande séchée et plongea son regard dans le feu. C’avait été une bonne journée en fin de compte.

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jeudi 23 octobre 2014

Episode 3


Keyne rangea ses lames. Il fallait prendre une décision. Rester ici trop longtemps pouvait être dangereux. La zone était visiblement contaminée et de plus il ne savait pas si le camion avait continué sa route plus loin ou si sa destination était proche. Le garçon gémit, faisant sursauter Keyne. S’il lui sauvait la vie, il ne pourrait pas l’abandonner ensuite. La convalescence prenait du temps, même avec le traitement donné en tout début d’infection. Il fallait être raisonnable. Keyne n’avait pas besoin d’un poids mort qui le ralentirait dans son voyage sans fin. Rajustant les lunettes sur ses yeux, le nomade tourna le dos au jeune homme. Sa décision était prise. Ferme et définitive.

Faisant le chemin inverse, Keyne repassa devant le cadavre du Rageux. L’homme était toujours étendu tel qu’il l’avait laissé, ses yeux morts le fixant d’un regard accusateur. Le nomade s’arrêta, jeta un coup d’œil en arrière, puis à l’homme qu’il venait de tuer. Keyne serra les poings le long de son corps ainsi que sa mâchoire et secoua la tête. Il n’y avait aucune raison d’hésiter. Sa propre survie était prioritaire. S’il venait à mourir…

Keyne s’arrêta à nouveau, et lâcha un soupir agacé.

— Et merde.

Il fit demi-tour d’un pas rageur, en colère après lui-même et son incapacité à penser uniquement à sa survie. Il aurait dû pouvoir le laisser derrière. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’il laissait des gens gérer leurs problèmes avec le virus sans s’en soucier. Cette fois-ci comme les autres, ça n’aurait pas dû faire de différence. Et pourtant ça en faisait une. Il était incapable de savoir pourquoi, mais laisser ce gamin imprudent mourir lui était impossible.

Revenant à ses côtés, Keyne se laissa tomber à genoux près du garçon et sans se préoccuper du malade, se libéra de son sac. L’ouvrant avec des gestes brusques empreints de colère, il en sortit un second sac en cuir, plus petit, et beaucoup plus précieux. 

À l’intérieur se trouvait tout le nécessaire à sa survie. Des plantes, des pots contenant onguents et crèmes, des bandes de tissus propre pour des bandages… ainsi qu’une petite pochette. Ce fut cette dernière dont se saisit Keyne. L’ouvrant avec précaution, il inspecta le contenu. Le côté droit contenait cinq emplacements dont trois étaient vides. Les deux autres maintenaient en place deux fioles de 15ml chacune au contenu translucide. Du côté gauche, une seringue ainsi qu’un tube en plastique servant à des intraveineuses dont l’un des bouts était surmonté d’une petite aiguille.

Après avoir observé ce contenu quelques secondes, Keyne sortit le matériel dont il avait besoin et le posa sur ses genoux avant de refermer la pochette. Puis il leva la tête et regarda le jeune homme. Ce dernier était toujours inconscient et ne semblait pas près de se réveiller. L’auscultant rapidement, Keyne décréta que la fièvre venait d’un début d’infection de la coupure à la tête. Il lui faudrait la désinfecter rapidement. La morsure demandait d’être nettoyée, mais n’était pas grave en elle-même. Ce qui l’était plus en revanche, c’était les conséquences d’une telle morsure.

Le garçon avait été contaminé par le virus Rage 2.0. Laissé sans traitement, il développerait la maladie. Durant les quinze premiers jours, celle-ci ne ferait qu’incuber, ne laissant comme seuls symptôme visibles qu’une irritabilité grandissante, des insomnies… Puis au fur et à mesure que la maladie se déclarerait, il deviendrait paranoïaque et développerait une aversion pathologique à l’eau. Une fois ce stade atteint, la maladie serait établie et le malade deviendrait un Rageux. L’espace de quelques semaines, il pourrait alors tuer et contaminer des dizaines de personnes avant de finalement mourir.

Si personne ne lui donnait le sérum, c’est ce qui se passerait. Mais par un étrange concours de circonstance, le jeune homme avait croisé Keyne. Keyne qui avait en sa possession le fameux sérum, devenu le bien le plus précieux pour cette humanité dévastée. Keyne qui allait sacrifier l’avant dernière dose qu’il possédait pour un garçon qu’il ne connaissait même pas.

Il retira en premier lieu ses gants épais, découvrant dessous de fin gants en cuir, puis il se saisit du petit couteau qu’il portait à sa ceinture et découpa la manche du garçon dans la longueur afin de dégager son bras. La peau était pâle, faisant ressortir les veines et facilitant ainsi le travail du nomade.

Avec des gestes sûrs, il préleva à l’aide de la seringue le sérum, puis coinça l’instrument entre ses lèvres. Ensuite, il se saisit du tube en plastique, coinça l’extrémité entre ses genoux, et planta l’aiguille dans la veine du patient. Maintenant celle-ci en place d’une main, il saisit de l’autre la seringue et vint la planter dans l’embout du tube servant à cet effet. Relâchant ses genoux, Keyne maintint le tout, ses mains à chacune des extrémités du tube et pressa de son pouce sur la seringue. Le contenu se déversa alors dans le tube puis directement dans le sang du patient. Une fois le liquide entièrement passé, le nomade retira l’intraveineuse et nettoya les outils sommairement dans la neige. Il les stériliserait plus tard, lorsqu’il aurait le temps. Il s’occupa ensuite de nettoyer la plaie ainsi que la morsure, puis rangea tout son attirail dans son sac.  

Lorsque tout fut terminé Keyne remit ses gants épais et observa son environnement. La luminosité avait commencé à baisser. D’ici deux à trois heures il ferait complètement nuit et une nouvelle problématique se posait pour Keyne. La zone n’était pas vraiment sécurisée, il en voulait pour preuve le lièvre contaminé, ainsi que le Rageux tué un peu plus tôt. Quant aux traces de véhicule, le nomade chassa cette menace de sa tête. S’ils avaient dû repasser ou être proche, il les aurait entendus ou vus depuis longtemps. Hors ça n’avait pas été le cas. Il pouvait donc en conclure qu’ils ne risquaient pas grand-chose de ce côté-là. Restait la menace la plus dangereuses, celle des contaminés.

Il ne s’offrait que deux solutions au nomade, et peu de temps pour prendre une décision. Il pouvait rester et prendre le risque d’être attaqués durant la nuit, ou bien porter le jeune homme sur quelques kilomètres jusqu’à trouver un abri plus sûr.
 
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