jeudi 11 décembre 2014

Episode 9


Elis acquiesça sans poser plus de questions. Il était seulement content de pouvoir enfin se reposer. Keyne mangea également en silence avant de boire une longue rasade d’eau. Il se leva ensuite et récupéra ses deux courtes épées.

Le jeune homme le regarda faire, admirant les mouvements souples de son guide. Sa capuche était rabaissée et ses lunettes reposaient sur le haut de sa tête. Des mèches de son chignon s’étaient échappées et volaient telles des flammèches rouges autour de son visage, le soleil se réfléchissant sur les lames qui bougeaient de plus en plus rapidement autour de Keyne.

Elis resta subjugué, jusqu’à ce qu’il s’arrête, à peine essoufflé par l’exercice qu’il venait de faire. Son regard se posa alors sur le jeune homme et ce dernier déglutit devant la froideur qui s’y lisait.

— Lève-toi.

Elis obtempéra.

— Nous repartons déjà ?

Keyne secoua la tête.

— Non. Tu as besoin d’apprendre à te battre. Si je te laisse comme ça, tu ne survivras pas à la plus petite attaque.

— Cela fait trois jours que nous marchons et nous n’avons pas rencontré le moindre problème.

Keyne fronça les sourcils.

— Pour le moment. Mais nous marchons vers l’Ouest, le temps va devenir plus clément et nous allons devoir faire des haltes dans les communautés. Nous allons forcément croiser plus de Rageux et tous les problèmes que cela génèrent.

— Je ne comprends pas.

Keyne soupira. Malgré tout, il prit le temps de s’expliquer.

— Dans les contrées de l’Est le plus gros danger ne sont pas les Rageux, le froid maintient le taux d’infection assez bas. En contrepartie, la vie est plus dure, et les bêtes sauvages ainsi que les hommes représentent le gros du danger. Pour le moment, j’ai évité les routes qui risquaient de nous les faire croiser. Plus nous allons aller vers l’Ouest et nous rapprocher des communautés, plus il y aura de Rageux. Tu dois apprendre à te battre.

Keyne s’interrompit pour tendre à Elis l’une de ses épées par le manche et l’observa droit dans les yeux jusqu’à ce que le garçon prenne l’arme. L’homme recula alors d’un pas et se mit en position de garde, l’épée dans la main droite légèrement écartée de son corps, le bras gauche placé en défense devant son torse, comme s’il portait un bouclier.

— Attaque-moi.

Elis déglutit et son regard fit l’aller-retour entre Keyne et l’arme qu’il tenait. Protégé par la ville d’Eole, il n’avait jamais eu besoin d’apprendre à se battre. Il lui suffisait d’apprendre à s’occuper des éoliennes et de veiller à leur bon fonctionnement pour faire sa part du travail.

— Ça vient ?

La voix dure de Keyne le fit sursauter et le ramena à l’instant présent. Ce temps était révolu. S’il voulait retrouver sa vie d’avant il devait d’abord survivre. Ses mains s’agrippèrent sur le manche de la courte épée et il fonça droit sur Keyne, plus qu’il n’attaqua.

En face de lui, le nomade ne broncha pas. Il attendit qu’Elis soit sur lui pour contrer son coup d’épée avec la sienne, la faisant voler à plusieurs mètres. De sa main libre il assena une gifle au garçon avant de le repousser d’un coup de pied qui l’envoya rouler au sol.

Sonné, Elis se releva tout en secouant la tête.

— Tu es malade. Pourquoi tu y as été si fort ?

Keyne avait déjà ramassé l’arme et avançait vers lui pour lui tendre de nouveau l’épée par le manche.

— Fort ? J’ai retenu mes coups. Allez, relève-toi et recommence. En tenant l’épée à une seule main cette fois.

Elis observa Keyne lui tourner le dos et se remettre en position. Il se releva tout en soupirant. Il n’avait pas le choix. Et il attaqua.

Pendant l’heure qui suivit Keyne le fit rouler au sol plus d’une fois, lui mettant raclée sur raclée. Allongé au sol, Elis haletait, épuisé. Ses joues lui cuisaient et il débordait de colère contre Keyne qui se montrait toujours aussi froid et intraitable. Le garçon entendit les pas du nomade approcher et se crispa, s’attendant à une nouvelle semonce et l’ordre de se lever et d’attaquer encore une fois. Mais cette fois Elis était prêt à lui tenir tête, il refusait simplement de se lever.

Ouvrant les yeux pour lui en faire la remarque, il découvrit au lieu du manche de l’arme, l’outre remplit d’eau.

— Bois.

Elis attrapa la gourde et se redressa pour boire tout son saoul. Il vit Keyne ranger les épées dans leur fourreaux et remettre son sac sur le dos.

— Nous y allons déjà ?

— La route est longue et il faut trouver un abri. Il va neiger cette nuit.

Elis leva la tête vers le ciel pourtant parfaitement dégagé et se demanda comment Keyne pouvait être aussi sûr de lui. Il n’eut pas le temps d’y penser plus, que le nomade faisait glisser ses lunettes sur ses yeux, signe qu’ils reprenaient la route. Elis aurait bien voulu se reposer pour de vrai, mais il n’eut pas le courage de faire la moindre remarque en voyant l’homme porter tout son attirail. Il n’avait pas le droit de se plaindre alors que lui-même ne portait qu’une petite hache et une outre.

C’est d’un pas maussade qu’Elis se mit en route. Rapidement une distance de quelques pas s’installa de nouveau entre eux. Malgré l’entraînement, Keyne avançait aussi vite qu’auparavant alors que lui-même avait l’impression que ses jambes étaient lestées à l’aide de plomb. Chaque pas qu’il faisait lui était un calvaire, et il ne pensa bientôt plus qu’à ses pieds qu’il mettait l’un devant l’autre.

Ils marchèrent durant le reste de la journée, et ne firent une pause rapide qu’une seule fois alors que de gros nuages noirs s’étaient amoncelés dans le ciel. Keyne avait alors sorti une corde pour la passer autour de sa taille ainsi que de celle d’Elis, tout en lui expliquant que c’était pour éviter qu’ils se perdent l’un l’autre. En reprenant la route, il avait commencé à neiger. De tous petits flocons dispersés rapidement par le vent.
 
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