Elis
acquiesça sans poser plus de questions. Il était seulement content de pouvoir
enfin se reposer. Keyne mangea également en silence avant de boire une longue
rasade d’eau. Il se leva ensuite et récupéra ses deux courtes épées.
Le
jeune homme le regarda faire, admirant les mouvements souples de son guide. Sa
capuche était rabaissée et ses lunettes reposaient sur le haut de sa tête. Des
mèches de son chignon s’étaient échappées et volaient telles des flammèches
rouges autour de son visage, le soleil se réfléchissant sur les lames qui
bougeaient de plus en plus rapidement autour de Keyne.
Elis
resta subjugué, jusqu’à ce qu’il s’arrête, à peine essoufflé par l’exercice
qu’il venait de faire. Son regard se posa alors sur le jeune homme et ce
dernier déglutit devant la froideur qui s’y lisait.
—
Lève-toi.
Elis
obtempéra.
—
Nous repartons déjà ?
Keyne
secoua la tête.
—
Non. Tu as besoin d’apprendre à te battre. Si je te laisse comme ça, tu ne
survivras pas à la plus petite attaque.
—
Cela fait trois jours que nous marchons et nous n’avons pas rencontré le moindre
problème.
Keyne
fronça les sourcils.
—
Pour le moment. Mais nous marchons vers l’Ouest, le temps va devenir plus
clément et nous allons devoir faire des haltes dans les communautés. Nous
allons forcément croiser plus de Rageux et tous les problèmes que cela
génèrent.
—
Je ne comprends pas.
Keyne
soupira. Malgré tout, il prit le temps de s’expliquer.
—
Dans les contrées de l’Est le plus gros danger ne sont pas les Rageux, le froid
maintient le taux d’infection assez bas. En contrepartie, la vie est plus dure,
et les bêtes sauvages ainsi que les hommes représentent le gros du danger. Pour
le moment, j’ai évité les routes qui risquaient de nous les faire croiser. Plus
nous allons aller vers l’Ouest et nous rapprocher des communautés, plus il y
aura de Rageux. Tu dois apprendre à te battre.
Keyne
s’interrompit pour tendre à Elis l’une de ses épées par le manche et l’observa
droit dans les yeux jusqu’à ce que le garçon prenne l’arme. L’homme recula
alors d’un pas et se mit en position de garde, l’épée dans la main droite
légèrement écartée de son corps, le bras gauche placé en défense devant son
torse, comme s’il portait un bouclier.
—
Attaque-moi.
Elis
déglutit et son regard fit l’aller-retour entre Keyne et l’arme qu’il tenait. Protégé
par la ville d’Eole, il n’avait jamais eu besoin d’apprendre à se battre. Il
lui suffisait d’apprendre à s’occuper des éoliennes et de veiller à leur bon
fonctionnement pour faire sa part du travail.
—
Ça vient ?
La
voix dure de Keyne le fit sursauter et le ramena à l’instant présent. Ce temps
était révolu. S’il voulait retrouver sa vie d’avant il devait d’abord survivre.
Ses mains s’agrippèrent sur le manche de la courte épée et il fonça droit sur
Keyne, plus qu’il n’attaqua.
En
face de lui, le nomade ne broncha pas. Il attendit qu’Elis soit sur lui pour
contrer son coup d’épée avec la sienne, la faisant voler à plusieurs mètres. De
sa main libre il assena une gifle au garçon avant de le repousser d’un coup de
pied qui l’envoya rouler au sol.
Sonné,
Elis se releva tout en secouant la tête.
—
Tu es malade. Pourquoi tu y as été si fort ?
Keyne
avait déjà ramassé l’arme et avançait vers lui pour lui tendre de nouveau
l’épée par le manche.
—
Fort ? J’ai retenu mes coups. Allez, relève-toi et recommence. En tenant
l’épée à une seule main cette fois.
Elis
observa Keyne lui tourner le dos et se remettre en position. Il se releva tout
en soupirant. Il n’avait pas le choix. Et il attaqua.
Pendant
l’heure qui suivit Keyne le fit rouler au sol plus d’une fois, lui mettant raclée
sur raclée. Allongé au sol, Elis haletait, épuisé. Ses joues lui cuisaient et
il débordait de colère contre Keyne qui se montrait toujours aussi froid et
intraitable. Le garçon entendit les pas du nomade approcher et se crispa,
s’attendant à une nouvelle semonce et l’ordre de se lever et d’attaquer encore
une fois. Mais cette fois Elis était prêt à lui tenir tête, il refusait
simplement de se lever.
Ouvrant
les yeux pour lui en faire la remarque, il découvrit au lieu du manche de
l’arme, l’outre remplit d’eau.
—
Bois.
Elis
attrapa la gourde et se redressa pour boire tout son saoul. Il vit Keyne ranger
les épées dans leur fourreaux et remettre son sac sur le dos.
—
Nous y allons déjà ?
—
La route est longue et il faut trouver un abri. Il va neiger cette nuit.
Elis
leva la tête vers le ciel pourtant parfaitement dégagé et se demanda comment
Keyne pouvait être aussi sûr de lui. Il n’eut pas le temps d’y penser plus, que
le nomade faisait glisser ses lunettes sur ses yeux, signe qu’ils reprenaient
la route. Elis aurait bien voulu se reposer pour de vrai, mais il n’eut pas le
courage de faire la moindre remarque en voyant l’homme porter tout son
attirail. Il n’avait pas le droit de se plaindre alors que lui-même ne portait
qu’une petite hache et une outre.
C’est
d’un pas maussade qu’Elis se mit en route. Rapidement une distance de quelques
pas s’installa de nouveau entre eux. Malgré l’entraînement, Keyne avançait
aussi vite qu’auparavant alors que lui-même avait l’impression que ses jambes
étaient lestées à l’aide de plomb. Chaque pas qu’il faisait lui était un
calvaire, et il ne pensa bientôt plus qu’à ses pieds qu’il mettait l’un devant
l’autre.
Ils
marchèrent durant le reste de la journée, et ne firent une pause rapide qu’une
seule fois alors que de gros nuages noirs s’étaient amoncelés dans le ciel.
Keyne avait alors sorti une corde pour la passer autour de sa taille ainsi que
de celle d’Elis, tout en lui expliquant que c’était pour éviter qu’ils se
perdent l’un l’autre. En reprenant la route, il avait commencé à neiger. De
tous petits flocons dispersés rapidement par le vent.
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