mardi 11 novembre 2014

Episode 6


S’il lui disait la vérité, il prenait le risque de faire confiance à ce garçon et de se voir par la suite dépouillé de ses biens ou tué. Et même s’il était digne de confiance, il suffisait qu’il ouvre la bouche pour en parler à quelqu’un une fois rentré chez lui, pour qu’ensuite Keyne se retrouve dans les ennuis. Les gens étaient prêts à se battre et à tuer pour obtenir ne serait-ce qu’une dose de sérum. Si quelqu’un apprenait que Keyne en avait en sa possession il se ferait tuer sans hésitation.

Non, le plus sage était de lui mentir. En plus il semblait assez désorienté et perdu pour croire tout ce que Keyne lui raconterait. Le nomade tenta donc le coup.

— Tu t’es fait une méchante coupure à la tête, et lorsque je t’ai trouvé, elle était en train de s’infecter et tu étais fiévreux. Quand tu t’es fait mordre tu as du délirer et te croire contaminé, mais je t’assure que tes blessures mises à part, tu es en parfaite santé. 

Keyne lui sourit tout en le dévisageant d’un air qui n’appelait pas la contradiction, et Elis finit par acquiescer.

— Tu dois avoir raison, après tout c’est toi qui m’as soigné.

— Tout à fait.

Le sourire de Keyne s’élargit, et il se remit à manger. Puis tout en mâchant, il pointa du bout de sa cuillère le bol d’Elis et ajouta :

— Termine ton plat. Je te préparerai ensuite un mélange de plantes à prendre pendant une semaine pour ton rétablissement complet, puis tu pourras retourner chez toi. Vu comment tu es habillé, ta communauté ne doit pas être loin.

Elis se figea et reposa la cuillère dans son bol avant de baisser les yeux, visiblement mal à l’aise. Keyne fronça les sourcils.

— Quoi, tu t’es enfui et tu ne veux pas rentrer ?

Elis secoua la tête mais garda le silence.

— Tu t’es perdu et tu ne sais pas comment rentrer ?

À nouveau Elis secoua la tête. À bout de patience, Keyne soupira.

— Écoute, si tu ne veux pas en parler, ça ne me pose aucun problème. De toute façon ça ne change pas grand-chose pour moi ; je te laisse les plantes et je reprends ma route. Tu es libre de continuer la tienne.

Elis releva alors la tête, le regard complètement paniqué.

— Tu ne peux pas me laisser là tout seul.

— Je ne te dois rien. Je t’ai soigné parce que je ne pouvais pas laisser quelqu’un mourir comme ça en pleine nature, mais ça ne veut pas dire pour autant que je vais garder avec moi un fugueur qui ne veut pas rentrer chez lui.

— Je n’ai pas fugué, j’ai été enlevé !

À peine les mots prononcé Elis détourna le regard et retomba dans son mutisme. Keyne attendit qu’il en dise plus, mais il n’ouvrit plus la bouche.

— Si tu veux que je t’aide, il va falloir que tu m’en dises plus.

Elis secoua la tête.

— Je veux seulement que quelqu’un m’aide à rentrer chez moi.

Keyne ignorait ce que le garçon cherchait à cacher, mais il était sûr d’une chose, personne, et encore moins lui-même, ne l’aiderait sans en savoir plus. Il allait donc falloir qu’il lui tire les vers du nez.

— Eh bien si tu veux que je t’emmène ne serait-ce que dans la prochaine communauté, il va falloir que tu m’en dises un peu plus, parce que ton histoire d’enlèvement là, ça pue l’arnaque à plein nez.

Elis se mordit les lèvres, prêt à craquer. Keyne poussa un peu plus.

—Je t’ai sauvé la vie, j’ai largement fait ma part de bonne action pour l’année. Ça ne me pose aucun souci de te laisser là tout seul.

Elis soupira alors, ses épaules s’affaissant.

— D’accord, qu’est-ce que tu veux savoir ?

Keyne lui sourit.

— Commençons dans l’ordre. Où se trouve ta communauté ?

— À l’Ouest.

— Mais encore ?

— Sur la côté Ouest du continent.

Keyne lâcha un sifflement. C’était à des milliers de kilomètres.

— Tu veux me faire croire que des hommes sont venus t’enlever pour t’emmener à l’autre bout du continent ? Ça doit faire des mois que tu es entre leurs mains.

— En réalité ça fait seulement quelques semaines.

Keyne fronça les sourcils, le gamin se foutait de lui.

— Et tu veux me faire gober ça ? Ça fait des années que je traverse le continent de long en large et je n’ai jamais réussi atteindre les deux bords en moins d’une saison. Et toi tu veux me faire croire que tu l’as fait en quelques semaines ?

— Je ne te mens pas. Nous avons voyagé en camions.

Keyne le regarda un long moment. S’ils étaient véhiculés il était en effet possible de traverser le continent en quelques semaines. Mais encore fallait-il que les véhicules tiennent la route, et ça c’était une autre histoire.

— Admettons que je te croie, comment tu as fait pour t’échapper ?

— Nous nous sommes arrêtés un soir au bord de la route. D’habitude ils prenaient la peine de trouver un abri sûr, mais visiblement nous étions presque arrivés et ils étaient plus confiants. Puis en plein milieu de la nuit nous nous sommes fait attaquer.

— Des Rageux ?

Elis secoua la tête :

— Non, d’autres hommes. J’ai été réveillé en sursaut par des coups de feu. L’un des mercenaires qui m’avait enlevé, le plus jeune d’entre eux m’a alors détaché et m’a dit de prendre la fuite. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai couru dans les bois, je ne voyais rien et c’est comme ça que je me suis cogné la tête. J’ai continué à marcher jusqu’à ce que je n’entende plus de bruit derrière moi. Ensuite j’ai erré sans trouver la moindre nourriture pendant plusieurs jours. J’ai fini par m’écrouler près d’un arbre où je me suis fait mordre par le lapin en cherchant à l’attraper. La suite, tu la connais.

Elis se tut tout en regardant Keyne, attendant son verdict. Le nomade avait écouté l’histoire du garçon. Il savait qu’il existait beaucoup de tensions dans les communautés de l’Est, peuples différents, ressources limités…tout était prétexte à s’attaquer régulièrement. Alors Keyne n’était pas surpris du déroulement de l’histoire d’Elis. Pourtant, il lui manquait encore une information pour prendre le garçon au sérieux et envisager de l’aider.

— Très bien, j’ai une dernière question. Pourquoi est-ce que des mercenaires ont fait autant de route pour venir t’enlever toi, un simple gamin ?

Elis détourna un instant le regard, hésitant. Pourtant il allait bien falloir qu’il réponde s’il voulait obtenir l’aide de Keyne. Le garçon planta alors ses yeux marron dans ceux vert du nomade et répondit.
 
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