Keyne
observa une nouvelle fois les alentours, puis revint sur le malade. À part ce
qu’il portait sur le dos, il ne possédait pas grand-chose. C’était inconscient
de sa part, mais ce serait toujours ça de moins à transporter pour Keyne.
Une
courte réflexion suffit au nomade pour décider qu’il valait mieux trouver un
lieu plus sûr. Il lui restait encore au moins deux bonnes heures de marche pour
s’éloigner de cet endroit, et même en transportant un poids mort, ils pouvaient
certainement atteindre une zone plus sécurisée. Si Keyne se souvenait bien, et
s’il marchait d’un bon pas, ils pourraient même trouver un toit pour les
abriter. Cela lui permettrait alors de rester quelques jours, le temps que le
garçon reprenne conscience et qu’il puisse le laisser seul. Mais il ne fallait
pas perdre de temps. Keyne sortit tout d’abord une corde de son sac. Puis, se
dirigeant vers le garçon inconscient, il se mit à genoux, passa un bras sous
ses épaules et le ramena en avant contre lui, faisant passer ses bras
par-dessus ses épaules, tels deux amants enlacés. Le garçon gémit, sans
toutefois se réveiller, mais Keyne n’y prêta pas attention et pivota tout en
maintenant les bras du malade afin qu’il ne tombe pas. L’ayant à présent dans
le dos, Keyne fit glisser la corde sous les fesses du garçon et s’enroula la
taille, avant de la faire passer sous les bras et de la ramener face à lui afin
de la nouer à l’avant. Le nomade vérifia ensuite que le malade était bien
maintenu et qu’il ne risquait pas de tomber. Keyne rajusta les bras de ce
dernier sur ses épaules, afin qu’il soit le plus en avant possible, passa ses
propres bras sous les jambes du malade et banda ses muscles s’apprêtant à se
relever, puis il poussa sur ses jambes, prêt à soulever le poids d’un homme.
Il
faillit perdre l’équilibre sous la légèreté que représentait le garçon. Il
s’était attendu à bien plus lourd, mais il devait peser moins que lui. Keyne
secoua la tête. Il se demandait comment un garçon tel que lui avait pu survivre
aussi longtemps dans le monde actuel. Il n’était clairement pas paré aux
difficultés de la vie. Alors quelle pouvait être son histoire et comment
s’était-il retrouvé là ?
Keyne
repoussa ses interrogations. Il aurait le temps plus tard de les lui
poser ; pour le moment il devait marcher pour s’éloigner le plus vite
possible de cet endroit. Récupérant son sac qu’il porta devant lui, puis rajustant
le garçon, sur son dos, Keyne reprit la route. Il resta dans un premier temps
aux abords de la forêt, puis lorsqu’il pensa que la zone était plus sûre, il
revint sur la route. Celle-ci était faîte de goudron. Son grand-père lui avait
expliqué que dans l’ancien temps, toutes les villes étaient reliées par ce
genre de route, que les véhicules étaient alors légions et que des milliers
traversaient chaque jour dans un sens comme dans l’autre. Il lui avait aussi
parlé des trains et des avions transportant hommes et marchandises en quantité.
Keyne avait toujours eu du mal à se représenter ce genre de monde où tout se
trouvait en abondance, villes, hommes, animaux, nourriture… Pour lui si cette
époque avait un jour réellement existé, ce n’était à présent que des contes
pour enfants.
Bien
sûr, Keyne avait déjà croisé au long de sa vie tous les engins dont son
grand-père lui avait parlé. Mais en général il ne sortait de cette technologie
du passé rien de bon. Les hommes les utilisaient pour contrôler et menacer,
faire preuve de leur supériorité. Keyne préférait autant s’en tenir à distance
et continuer à marcher. C’était ça la vraie sécurité et la vraie liberté. Se
contenter de ce que l’on pouvait transporter.
Keyne
s’arrêta un instant pour observer les lieux. La luminosité avait encore
baissée, le jour faisant place au crépuscule. S’il ne se trompait pas, il y
avait une ancienne ferme abandonnée un peu plus loin. Il y avait été une fois,
il y avait longtemps de cela. Il quitta la route pour un chemin de terre et le
suivit encore sur quelques kilomètres, faisant attention aux moindres signes de
présence humaine ou animale, mais il n’en détecta aucune. Puis au bout d’un
moment, il distingua la forme d’un bâtiment. Malgré la fatigue, Keyne pressa le
pas.
En
quelques années la ferme s’était encore dégradée, ressemblant d’avantage à une
ruine que dans ses souvenirs. Mais au moins il y avait encore des murs, un toit
et une porte. Les fenêtres, elles, avaient été barricadées depuis longtemps.
C’était suffisant pour en faire un abri sûr. Détachant le garçon, il le posa
contre un arbre. Il reprit ensuite son sac sur son dos et sortit ses épées
courtes afin de s’assurer que les lieux étaient dégagés. Il faisait nuit à
présent, et aucun son ne provenait de la maison.
Keyne
avança lentement, faisant le moins de bruit possible. Après des années
d’entraînement, il voyait parfaitement dans la nuit. Il poussa la porte avec précaution,
celle-ci grinça et il attendit d’entendre quelque chose, mais rien. Faisant
rapidement le tour du bâtiment qui se trouvait de plein pied, Keyne finit par
ressortir rassuré. À part quelques rats qui avaient détalés entre ses jambes,
la ferme était vide. Il récupéra le garçon et l’emmena à l’intérieur.
L’allongeant dans l’une des pièces, Keyne sortit de son sac sa couverture et
l’en recouvrit. Il rassembla ensuite quelques morceaux de bois qui avaient
constitués un jour du mobilier et sortit son nécessaire à feux. Un petit sac
contenant de la mousse, une tige de silex usée et un grattoir. Avec des gestes
sûrs, Keyne enflamma rapidement la mousse et fit un petit feu. Cela serait
suffisant pour les réchauffer, et de l’extérieur on ne l’apercevrait même pas.
Keyne
cala son dos contre le mur et soupira. La journée avait été longue, mais il
était encore en vie. Sortant de son sac de quoi manger, il avala quelques
tranches de viande séchée et plongea son regard dans le feu. C’avait été une
bonne journée en fin de compte.
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