Keyne
marchait de son pas habituel, Elis suivant difficilement quelques mètres plus
loin. Ils avaient repris la route deux jours plus tôt et Keyne essayait déjà de
maintenir le rythme. Mais Elis peinait. Cela n’avait rien à voir avec son
rétablissement, c’était juste qu’il n’était pas habitué à autant d’activités
physique. Keyne le savait, mais s’ils voulaient survivre, le nomade savait
également qu’il fallait que leur rythme soit plus soutenu.
Ça,
et l’entraînement. Le garçon ne savait visiblement pas se défendre avec des
armes blanches. Pour l’heure il portait à sa ceinture la petite hache que Keyne
utilisait pour couper du bois, mais le nomade lui avait interdit de l’utiliser,
sauf en cas d’urgence et lorsqu’il le lui dirait. Et même dans cette situation
il craignait qu’Elis représente plus de danger en fin de compte. Ce dernier
était comme un enfant à qui il fallait tout apprendre, et ils n’avaient pas le
temps pour ça.
Sauf
que la route était longue jusqu’à Eole et pleine de danger également. Si Elis
n’apprenait pas à se défendre il se ferait tuer. Keyne n’en serait pas vraiment
affecté, mais le jeune homme représentait sa dernière chance d’entrer dans
Eole.
Le
nomade soupira. Il allait bien falloir prendre ce temps s’ils voulaient arriver
vivants. Et puis Elis devait cesser d’être un enfant et devenir un homme
capable de se protéger. Si sa communauté avait fait le nécessaire, il ne se
serait sans doute pas fait enlever.
Keyne
se retourna pour jeter un coup d’œil au jeune homme. Le regard rivé au sol il
avançait difficilement, le visage crispé par la douleur et la fatigue. Encore
une fois Keyne se demanda quel genre de communauté pouvait être Eole pour ne
pas avoir besoin que ses membres apprennent à survivre. Lui-même se souvenait
encore très bien du jour où son grand-père lui avait mis un couteau entre les
mains pour lui apprendre à se battre. Il devait avoir à peine 5 ans.
À
cette époque le reste de sa famille était encore en vie. Sa mère devait
sûrement être dans les parages, à le regarder, mais Keyne ne se souvenait que
de son grand-père et de la leçon qu’il lui avait donnée. Durant des jours le
vieil homme lui avait fait mordre la poussière jusqu’à ce qu’il soit capable de
tenir son couteau et de s’en servir correctement. La leçon avait été dure, mais
bénéfique lorsque quelques années plus tard, alors qu’ils n’étaient plus que
tous les deux, Keyne avait tué son premier Rageux. Il n’avait alors pas encore
15 ans, mais son grand-père avait alors déclaré qu’il était adulte. Un léger
sourire étira les lèvres du nomade, mais derrière ses lunettes, son regard
resta froid. Il y avait trop peu de bons souvenirs pour de trop nombreuses
horreurs vécues. Les souvenirs n’étaient que des rêves. La réalité, c’était la
mort et le besoin de survivre.
—
Keyne !
Le
guide sortit de ses pensées et se retourna pour voir qu’Elis avait encore pris
du retard. Il secoua la tête et ralentit le pas avant de s’arrêter. Décidément
il allait falloir faire quelque chose. Relevant ses lunettes sur son front,
Keyne observa les alentours en attendant qu’Elis le rejoigne.
—
Tu vois les arbres là-bas ?
Le
garçon regarda dans la direction que le doigt du nomade pointait et plissa les
yeux avant d’acquiescer. De là où ils se trouvaient, ce n’était qu’une petite
touffe verte qui semblait se trouver à des kilomètres.
—
Ne les perds pas de vue. Nous ferons une pause une fois là-bas.
Elis
acquiesça une nouvelle fois. Il était incapable de parler pour se plaindre, ses
poumons étaient en feux, ses jambes lui brûlaient ; et il avait l’impression
qu’il risquait de s’écrouler à chaque pas qu’il faisait. Ce qui n’était sûrement
pas loin de la vérité. Et l’homme voulait qu’il continue à avancer aussi
loin ? Il s’apprêtait à dire quelque chose lorsqu’il vit Keyne sortir une
outre de son sac et en boire une longue rasade avant de la lui tendre.
—
Tiens bois.
Oubliant
sa plainte, le garçon ne se fit pas prier et but tout son saoul avant de rendre
l’outre. Keyne ne l’avait pas quitté des yeux une seconde, mais son regard
était resté impénétrable. Il rangea la gourde, rajusta son sac ainsi que ses
lunettes et reprit la route. Elis soupira et se remit également à avancer, son
regard fixé sur le dos de son guide. Depuis deux jours qu’ils marchaient Elis
ne l’avait pas vu une seule fois fatigué et il était toujours aussi
impressionné de le voir porter son sac comme si cela ne pesait pratiquement
rien alors qu’en réalité il était plein à craquer.
Pourtant
le nomade n’était pas physiquement ce qu’on pouvait appeler une force de la
nature. Keyne était certes assez grand, mais malgré l’épaisseur de ses
vêtements qu’il n’avait encore jamais retiré devant lui, Elis devinait un corps
sec. En comparaison il se sentait gras. Elis lâcha un petit rire. Jusqu’à
présent il n’avait jamais complexé sur son corps.
Sous
le gloussement Keyne se retourna et lui jeta un coup d’œil.
—
Qu’est-ce qui te fait rire ?
Elis
secoua la tête.
—
Rien. Je réfléchissais seulement… Keyne, tu as quel âge ?
—
Garde ton souffle pour marcher au lieu de parler. Tu dépenses de l’énergie
inutilement.
Puis
l’aîné se tourna de nouveau vers la route et accéléra le pas, obligeant Elis à
faire de même. Il leur restait encore une bonne heure de marche pour arriver
aux arbres, et Keyne ne souhaitait pas perdre de temps en bavardage inutile.
C’était un luxe qu’Elis ne pouvait pas se permettre. En plus, parler détournait
l’attention des dangers potentiels. Mieux valait donc attendre d’être arrivé à
l’étape et de se reposer. Ils auraient de toute façon bien assez le temps pour
discuter.
Lorsqu’ils
arrivèrent sous les frondaisons, Keyne fit d’abord un tour rapide afin de
vérifier que les lieux étaient aussi sûrs que possible. Puis lorsqu’Elis le vit
retirer son sac, il se laissa tomber au sol sur le dos, bras et jambes
écartées. L’homme l’observa, un demi sourire au coin des lèvres alors qu’il
sortait de son sac son outre ainsi que des galettes de blés. Croquant dans
l’une d’elle, il en lança une seconde sur la poitrine d’Elis qui se soulevait
au rythme de sa respiration rapide. Sous le léger impact le jeune homme ouvrit
les yeux et observa le gâteau rond. Il se redressa et tout en croquant dans la
galette, il se tourna vers Keyne.
—
Merci.
—
Mange. Tu vas avoir besoin de prendre des forces.
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